Alors que les PDG de Carrefour et Leclerc se veulent rassurants sur la légalité de l’afflux de masques en GMS et face à l’évident manque en pharmacie, j’ai souhaité m’interroger sur cette situation, entre l’indécence de la communication des grandes surfaces et les fautes ou absences de communication de la part de l’Ordre des Pharmaciens et de l’État.

 

Avec la décision de placer la population française en confinement, d’autres mesures sont venues s’ajouter pour compléter ce tableau d’état d’urgence sanitaire. Parmi celles-ci, la vente de masques en pharmacie est celle qui a fait le plus grand bruit et qui a connu ces dernières semaines un rebondissement inattendu.

Une chronologie en perpétuelle évolution

J’ai pris le parti, afin de ne pas noyer le lecteur sous le nombre impressionnant d’étapes qui ont jalonné cette « affaire », de ne conserver que les faits les plus marquants.

Le 4 mars 2020, un décret est publié concernant les réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19. Pour faire simple, l’État réquisitionne tous les masques de type FFP2 et les anti-projections. Le non-respect de ce décret peut entraîner des condamnations pénales pour le pharmacien – ou toute personne vendant ces produits – pouvant aller jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 10.000 € d’amende (art. Article L3136-1 du Code de la Santé Publique).

Le 18 mars 2020 : les officines reçoivent enfin les premiers masques chirurgicaux et FFP2 à redistribuer aux professionnels de santé. Et la traçabilité est de mise car on ne peut pas doter les praticiens de masques à l’envie, en effet, l’État a établi des quotas : par exemple, un médecin a droit à 18 masques par semaine. Et chose étonnante, les pharmaciens et préparateurs sont exclus de la liste des praticiens qui ont le droit à des masques, même s’ils seront introduits dans cette liste 4 jours plus tard.

Le 23 mars 2020, un nouveau décret qui vient abroger les précédents, précise dans le paragraphe III de son article 12 que la réquisition obligatoire de l’État pour les masques ne concernent pas les masques importés et en l’espèce « Le silence gardé par ce ministre plus de soixante-douze heures après réception d’une demande d’importation adressée par cette personne ou l’importateur fait obstacle à la réquisition. ». En d’autres termes, à partir du 23 mars, si un pharmacien importe des masques, marqués CE, depuis l’étranger et que dans les 72 heures qui suivent la réception, ni le Ministre de la Santé, ni le Préfet n’a demandé la réquisition, alors, le pharmacien peut parfaitement et légalement les vendre.

Le dimanche 26 avril, le Ministre de la Santé annonce enfin la possibilité de vendre des masques en pharmacie… et en bureaux de tabac et en grande distribution.

Le 29 avril, Alexandre Bompard, PDG du groupe Carrefour, annonce sur l’antenne de RMC qu’il dispose 225 millions de masques à vendre aux Français. Et il précise dans cette interview que pour obtenir ces stocks, il a été bien aidé par Bercy.

Un manque de communication transparente de l’État sur cette problématique

Lorsqu’il s’est agi de communiquer auprès des pharmaciens pour les informer de leur futur rôle de « dispatch » des masques pour les personnels soignants, ou pour les informer de la réquisition de leurs stocks, ou encore pour leur signifier l’interdiction de vendre ces produits au grand public, l’État a trouvé les moyens de le faire.

En revanche, à défaut d’informer les pharmaciens qu’à compter du 23 mars, ils pouvaient s’approvisionner à l’étranger de masques CE et les vendre au grand public, l’État a préféré communiquer sur leur rôle essentiel de distribution de masques aux soignants, sur les modifications régulières des quotas. Cette communication, une fois que la vérité a pu éclater, a contribué au sentiment de « laissés pour compte » que ressentent aujourd’hui les pharmaciens.

Ce point de lassitude est atteint par les pharmaciens après les annonces d’Alexis Bompard, PDG de Carrefour. Au lieu d’intervenir, de façon publique, ou via le réseau des pharmaciens bien structuré en France, l’État, au travers du Ministre de la Santé, n’a pas communiqué sur le sujet. Ce faisant, il a laissé l’idée se répandre que le réseau officinal n’était qu’une plateforme de distribution pour l’État, et qu’on empêchait les pharmaciens, par tous les moyens, de faire leur travail, et que pendant ce temps, en sous-main, l’État aidait la Grande Distribution à se fournir en masques.

L’avocat Fabrice Vizio, lors d’une interview à Putsch Média, expliquait qu’il avait saisi le Conseil d’État sur cette histoire d’interdiction de ventes de masques pour les pharmaciens. Et il affirme que M. Véran a clairement indiqué que bien évidemment les pharmaciens avaient le droit d’en vendre.

Même lorsque Michel-Édouard Leclerc a annoncé qu’il avait des stocks de disponibles, l’État aurait dû prendre la parole pour donner sa vision des faits. Car rappelons-le, avant le 23 avril, il était illégal d’importer ou d’acheter des masques sans que l’État ne puisse les réquisitionner.

Pour l’Ordre des Pharmaciens : trop de communication mais pas de communication

L’Ordre des Pharmaciens n’est pas exempt de reproches en matière de communication. En effet, avec une communication offensive en cette période à destination des officines de France – via ses antennes régionales et départementales-, il a tout fait pour ne pas donner l’information que tous les pharmaciens attendaient : le droit de pouvoir assurer leur mission de santé publique en vendant des masques au grand public.

En effet, le 25 mars 2020 – soit 2 jours après le décret qui autorisait les pharmaciens à vendre des masques -, l’Ordre des Pharmaciens adresse une communication à son réseau qui indique que « Quelle que soit la provenance des masques FFP2 ou chirurgicaux reçus à l’officine, ils doivent être attribués gratuitement aux professionnels en fonction des priorités définies au niveau national par le ministère des Solidarités et de la Santé. En aucun cas, les pharmacies sont donc mises au courant de la possibilité qu’elles ont de pouvoir commander des masques et les vendre.

Le 21 avril, une nouvelle communication de l’Ordre des Pharmaciens précise les nouvelles directives de la Direction Générale de la Santé mais insiste sur le fait qu’il est toujours interdit aux pharmaciens de vendre des masques.

Reste à savoir si l’Ordre était au courant ou non. Mais dans les deux cas, c’est une erreur : soit il ne savait pas et en ce cas il ne remplit pas sa mission de représentation de la Profession. Soit il savait et les pharmaciens ont toutes les raisons de s’interroger sur le pourquoi de cette non-communication.

L’indécence de la communication de la Grande Distribution 

A l’annonce de l’autorisation qui est faite à ses acteurs de pouvoir commercialiser des masques, chaque PDG d’enseigne est allé au-devant des micros, qui de BFM TV, qui de RMC, qui de CNews pour annoncer, à grands renforts de millions d’unités, qu’ils étaient prêts pour fournir la population française. Et à cela, je ne trouve rien à redire ; il est normal d’informer les Français qu’ils pourront dorénavant trouver en nombre des masques dans leurs grandes surfaces préférées.

Où je trouve que l’on touche à l’indécence de la communication, c’est quand le PDG de Carrefour annonce qu’il a pu se constituer un stock grâce à l’État – au travers de Bercy – dans une période où les soignants manquaient de masques et où l’État pouvait réquisitionner des stocks de plus de 5 millions d’unités. L’indécence de communication peut se trouver également chez un autre PDG de grande distribution lorsqu’il indique qu’il avait déjà ses stocks.

Les pharmaciens, les dommages collatéraux de cette guerre des masques

Entre l’indécence de la Grande Distribution, les fautes ou l’absence de communication de l’État ou de l’Ordre des Pharmaciens, les officines sont devenues des dommages collatéraux.

Aujourd’hui, ils se sentent méprisés et malgré tout, ils continuent d’assurer l’accueil, la distribution de masques aux soignants, le conseil à leurs patientèles, et leur disponibilité totale.

Encore une fois cette « affaire » démontre que la communication – et spécialement en temps de crise – ne consiste pas uniquement dans la vente de produits ou à jouer les bisounours ; c’est aussi être capable d’adresser les bonnes cibles avec les bons messages afin d’éviter des dérapages comme on assiste aujourd’hui avec les pharmaciens. Et encore, je n’ai abordé ici que le volet des masques, mais il y aurait également beaucoup à aussi sur la gestion du gel hydro alcoolique ou des renouvellement d’ordonnances…

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