Malgré une connotation commerciale, la Communication est un précieux outil qui permet de nourrir des liens de confiance entre une entité et ses publics. A la condition, bien-sûr, que celle-ci soit bien réalisée. Au travers de l’exemple de l’hydroxychloroquine, nous verrons comment une communication sans recul et irréfléchie, a transformé l’information médicale en schisme « pas très catholique » favorisant en prime le réveil des complotistes !

 

Le 22 février, alors que l’épidémie se répand en Europe, le Pr Raoult annonce à grand renfort de réseaux sociaux qu’il a trouvé le remède contre la Covid-19 : l’hydroxychloroquine, un anti-paludisme utilisé depuis des dizaines d’années.

Le sujet devient alors l’un des plus discutés du moment – tant dans les médias que sur les réseaux sociaux -, en raison notamment de la méthodologie peu orthodoxe de tests utilisée par le scientifique.

Une partie de l’opinion publique prend alors faits et causes pour le scientifique, puisqu’à ce moment, aucun traitement n’est identifié et que l’annonce s’avère providentielle pour des milliers voire des millions de Français qui demandent à pouvoir bénéficier du traitement en question.

Face à une telle pression, le 26 mars, le gouvernement français autorisera, par décret, ce traitement, précisant que seuls les hôpitaux pourront l’utiliser sur les patients traités dans leurs services.

Puis, après la parution le 22 mai dans The Lancet, revue scientifique de renommée mondiale, d’un article, basé sur une étude statistique des morts dans le monde, et indiquant que l’hydroxychloroquine a tué plus de patients Covid-19 que la mortalité normale liée à ce virus, la France interdit l’utilisation et la molécule et l’OMS suspend les essais cliniques.

Quand il apparaît quelques jours après que les données de l’article sont fantaisistes, la France, l’OMS, et The Lancet font machine arrière.

Mais étudions à présent les disfonctionnements qui sont venus émailler cette mêlée générale autour de l’utilisation de l’hydroxychloroquine.

Une annonce dans l’immodestie la plus complète

Le premier des travers de communication tient en l’annonce initiale du Pr Raoult puisque lors de l’annonce de sa découverte, il déclame : « C’en est fini du Covid-19 » avant d’expliquer la solution qu’il a utilisée. Il n’en fallait pas plus pour déchaîner les passions mais aussi les espoirs. La solution à cette pandémie est ainsi traitée comme le lancement d’un nouveau smartphone, avec sa cohorte de témoins plus ou moins directs qui ont pu attester son efficacité grâce à « ma sœur qui connait un infirmier qui a constaté que… »

Une communication orientée « David contre Goliath »

Dans les semaines qui ont suivi une première levée de boucliers notamment sur la régularité des tests effectués, les défenseurs du scientifique ont décidé de communiquer autour du « petit marseillais rebelle » face au « géant parisien et son establishment ». Cette communication, particulièrement relayée sur les réseaux sociaux, a généré un tel soutien des Français que le gouvernement a autorisé ce traitement, et ainsi placé le ver complotiste dans le fruit de la lutte contre la Covid-19. En point d’orgue, la communication offensive des « pros » met également l’accent sur le faible prix de la molécule face au prix de possibles nouveaux traitements qui rapporteraient des millions à des laboratoires.

Une décision en demi-teinte et précipitée du gouvernement

Lorsque l’État annonce sa décision, celle-ci tombe rapidement certes mais elle est en demi-teinte. En effet, l’hydroxychloroquine est autorisée uniquement sur des patients hospitalisés et donc atteints aux poumons, unique cas pour lequel le Pr Raoult avait indiqué que son traitement ne fonctionnait pas. Déjà autoriser l’usage hors des règles d’un médicament sous la pression de l’opinion publique tient plus de l’improvisation que de la gestion, mais limiter son utilisation au seul stade hospitalier laisse à penser que le gouvernement le fait exprès.

N’oublions pas que cette communication était déjà embourbée dans les luttes sociales et les liens de certains politiques avec les laboratoires…

Une marche en arrière précipitée et irraisonnée

Autre erreur de communication majeure du gouvernement et de l’OMS : avoir interdit immédiatement le traitement à l’hydroxychloroquine dès la sortie de l’article dans The Lancet, sans même lire l’article ou le laisser le temps de recueillir la contradiction. Le résultat est ainsi catastrophique, puisque, lorsqu’il a été démontré de façon quasi sure que cette étude était fantaisiste, l’État français et l’OMS ont dû faire machine arrière. Cette mésaventure à le relent d’une méconnaissance de la portée des études ajoutant encore de la suspicion à une communication d’Etat mise à mal autour de la gestion des masques.

Alors pourquoi est-ce que ces erreurs combinées ont fait le lit des complotistes ?

Le propre des groupes complotistes aujourd’hui est de prendre une information fiable, vérifiée et vérifiable et de bâtir sur cette base un raisonnement faussé et fallacieux. Et après les rumeurs sur la création du virus par les états pour faire taire la population et éviter des révoltes, cet épisode de l’hydroxychloroquine est venu compléter le tableau. Le professeur connu et reconnu dans le domaine médical devenant une idole, un « sauveur » atypique en lutte contre le système.

Car qu’ont déduit les groupes complotistes de cette communication désastreuse ?

Qu’en plus haut lieu, on ne voulait pas qu’un traitement soit découvert aussi vite, et surtout pas un traitement qui ne coûte rien, sinon cela enrayait le projet de muselage des Français et ne favorisait pas les laboratoires pharmaceutiques, amis du pouvoir en place. C’est pour cela que le traitement a été autorisé dans l’unique cas où il ne pouvait pas fonctionner. Et cela est confirmé par le fait que dès qu’une étude sort contre la molécule, on s’empresse d’en interdire l’utilisation.

Personne n’est dupe quant aux enjeux personnels, politiques et/ou commerciaux qui existent derrière la communication des uns et des autres mais le manque de recul et l’immédiateté sans réflexion ont achevé de décrédibiliser la communication médicale. D’une science sans opinion au service de l’homme avec des garde-fous pour garantir son bénéfice pour les patients, la médecine est devenue une querelle de chapelles que les complotistes ont utilisée pour recruter de nouveaux adeptes. Le summum étant atteint avec des sondages sur la « croyance » du public en ce cher professeur…

On aurait aimé qu’un scientifique présente ses recherches avec les réserves minimums pour éviter un effet wahou, on aurait aimé un gouvernement qui demeure le garant de notre santé en faisant preuve de plus de prudence et de recul, on aurait aimé plus d’humanité dans les objectifs des uns et des autres…

Mais au final c’est la réalité de ce qu’on peut attendre de la médecine qui est décrédibilisée pour longtemps, écartelée qu’elle est entre complotismes, cristallisation des reproches contre le gouvernement et les égos des uns et des autres.

Les grands gagnants de cette gabegie communicante étant au final ces groupes qui appellent au complot et qui ont recrutés de nouveaux publics – conscients ou non, instrumentalisés ou non – mais en tous cas dans l’impossibilité de se faire une opinion et sommés de croire sans pouvoir réellement vérifier.

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